mardi 25 octobre 2016

Nouvel article de Muriel Salmona dans Le Plus de l'Obs sur l'injustice de la prescription : Ardisson dévoile le nom du violeur de Flavie Flament : la loi la condamne au silence



Ardisson dévoile le nom du violeur de Flavie Flament : la loi la condamne au silence




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LE PLUS. Dans "La Consolation", son autobiographie, Flavie Flament raconte avoir été victime de viols à l'âge de 13 ans, par un photographe célèbre. Elle ne peut en revanche rendre public le nom de son agresseur, les faits étant désormais prescrits. Une situation qui illustre à quel point la loi actuelle sur le prescription est inadaptée, déplore la psychiatre Muriel Salmona.

Édité le 25-10-2016 par Sébastien Billard  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux


Dans son livre autobiographique "La consolation", Flavie Flament nous livre un témoignage poignant sur comment, après 25 ans d’amnésie traumatique, les viols qu’elle a subis à 13 ans lui sont brutalement revenus en mémoire après des années de remontées de mémoire traumatique sous la forme de flashbacks terrorisants et inexplicables. C'est une photo d’elle à 13 ans qui a glissé d’un album lors d’une consultation chez son médecin qui a tout fait resurgir.

Elle est contrainte de ne pas donner le nom de son agresseur

Si, dans son livre, elle a précisé qu’il s’agissait d’un photographe célèbre dont elle était le modèle, et mis en couverture une photo qu’il avait faite d’elle, – celle qui a fait remonter ses souvenirs –, elle n’a pas donné son nom. Et quand Thierry Ardisson, au cours de son émission "Salut les terriens" lui a demandé pourquoi elle ne le dénonçait pas, elle lui a répondu qu’elle en était empêchée en raison de la prescription des crimes subis. Prescription qui assure l’impunité au photographe, la prive de ses droits de porter plainte au pénal, et lui fait courir le risque qu’il l’attaque pour diffamation publique.

Choqué et scandalisé, Thierry Ardisson lui a alors demandé s’il pouvait révéler l’identité du photographe, ce qu’il a fait après qu’elle lui ait répondu que c’était à lui d’en décider. Il a donc pris le risque d’être attaqué au nom d’une révolte face à ce qu’il considère comme une injustice, et d’une solidarité vis-à-vis de Flavie Flament et de toutes les victimes condamnées au silence.

Quand les victimes de violences sexuelles sortent de leur état de dissociation et d’amnésie traumatique dans lequel leur cerveau les a mis pour assurer leur survie face à l’impact psychotraumatique majeurs des viols et le stress extrême qu’ils entraînent, il est ainsi souvent trop tard. Elles apprennent alors que les viols sont prescrits.

Beaucoup de victimes mettent des années à sortir de l’amnésie

Pour des viols subis après 18 ans, le délai de prescription actuel est de 10 ans et de 3 ans pour les agressions sexuelles. Au-delà, il n’est plus possible de poursuivre au pénal l’agresseur. Depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, le délai de prescription est de 20 ans après la majorité pour les viols subis en tant que mineurs de 18 ans, et c’est également le cas pour les agressions sexuelles sur mineurs avec circonstances aggravantes (mineurs de 15 ans, par personnes ayant autorité ou par ascendant, en réunion, avec une arme).

Il n’est donc plus possible, pour une personne ayant subi des violences sexuelles en tant que mineure (viols ou des agressions sexuelles accompagnées de circonstances aggravantes) de faire valoir ses droits en portant plainte au pénal après 38 ans, ou après 28 ans si elle est née avant le 9 mars 1976 (la loi de 2004 n’étant pas rétroactive, il ne fallait pas que les faits soient déjà prescrits le 9 mars 2004, la prescription de la loi précédente étant de 10 ans après la majorité, il fallait ne pas avoir plus de 28 ans).

Or les victimes de violences sexuelles dans l’enfance sont entre 30 et 40% à présenter de longues périodes d’amnésie traumatique, d’autant plus si elles sont toujours exposées à des violences, à leur agresseur ou à leurs complices. En majorité, elles mettent plus de 15 ans mais elles restent nombreuses à mettre plus de 25 ans à sortir de l’amnésie et à pouvoir en parler [1].

La prescription est un véritable couperet

Pour Flavie Flament, née le 2 juillet 1974, les viols étaient déjà prescrits au moment de la loi Perben II puisqu’elle avait 29 ans. Et elle avait plus de 38 ans quand ses souvenirs sont revenus… Pour une de mes patientes violée par le conjoint de sa mère alors qu'elle était enfant, la prescription s’est jouée à quelques semaines par rapport à la loi Perben II, étant née fin janvier 1976. Alors qu’elle n’avait pas encore 38 ans, elle n’a pas porté plainte en 2013. Elle a récemment écrit une lettre à Christiane Taubira alors Garde des Sceaux.

La prescription peut alors aboutir à des situations totalement incohérentes ou, pour des mêmes faits commis par les mêmes agresseurs, à quelques mois ou années près, des victimes peuvent porter plainte et aller aux assises et d’autres non. Laurent Esnault, victime de l’Ecole en bateau et réalisateur d’un documentaire, en témoigne dans une lettre que j’ai remise à la commission du Sénat lors de mon audition en 2014.
  
Cette prescription est un véritable couperet pour les victimes, elle est vécue comme une atteinte à leurs droits et comme une grande injustice. C’est une véritable exclusion que la société leur impose, et une loi du silence puisque le fait de parler publiquement de ce qu’elles ont subi en citant le nom de leurs agresseurs leur fait courir le risque d’être attaquée en justice par leur agresseur. Dans un retournement pervers total de victimes elles peuvent devenir coupables.

Une situation qui provoque un fort sentiment d’injustice

La diffamation est définie par par l’article 29 al.1 de la loi du 29 juillet 1881, comme "toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé". La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23 sera punie d'une amende de 12.000 euros.

Et jusqu’en 2013, l’injustice était encore plus grande puisque l’article 35 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 excluait toute possibilité de rapporter la preuve du fait diffamatoire, lorsqu’elle se référait à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision. Cela voulait dire que la victime de viols accusée de propos diffamatoires quand les faits étaient prescrits ne pouvait pas se défendre en donnant des éléments de preuves de ces faits. Cet article a été déclaré, après une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), comme anticonstitutionnel et abrogé le 9 avril 2013.

Flavie Flament pourrait donc se défendre en donnant des preuves des viols (témoignages, faisceaux d’indices), de même Thierry Ardisson pourra le faire s’il est attaqué. Mais leur situation n’est pas équivalente. Même s’il y a pour les deux une prise de risque d’être attaqué et possiblement condamné à une amende de 12.000 euros, l’impact psychologique et le sentiment d’injustice ne sera pas du même ordre.

Seules 10% des victimes parviennent à porter plainte

En ne citant pas le nom du photographe, Flavie Flament se protège non seulement d’une possible condamnation pour diffamation publique, mais surtout d’être exposée à une injustice encore plus traumatisante, et à son agresseur en position de toute puissance et d’impunité. Thierry Ardisson en a tenu compte en prenant ce risque à sa place.

Mais il reste possible pour Flavie Flament et pour toutes les victimes de viols prescrits de dénoncer les violences auprès du procureur de la République, s’il existe ou s’il est probable qu’il existe d’autres victimes du même agresseur dont les violences ne sont pas prescrites. Une enquête pourra être déclenchée, ce qui fut le cas pour la joueuse de tennis Isabelle Demongeot avec l’entraîneur de Camaret qui a été jugé et condamné. Isabelle Demongeot n’a pas pu porter plaine car les viols étaient prescrits pour elle, mais grâce à elle d’autres victimes ont pu accéder à la justice.

Rappelons-le, seules 10% des victimes de viols parviennent à porter plainte (entre les menaces, les manipulations, la culture du viol qui met en cause les victimes, la difficulté à identifier les violences subies, les troubles psychotraumatiques majeurs non pris en charge et la prescription qui les en empêchent), avec au final (avec les non-lieux, les affaires classées, les déqualifications en agressions sexuelles) un tout petit nombre de viols jugés en cour d’assises et 1% de condamnations [2].

La loi actuelle sur la prescription est inadaptée

Le viol est un crime dont l’impunité est quasi garantie. Notre société abandonne les victimes et bafoue leurs droits. Et rappelons que les principales victimes de violences sexuelles sont les enfants, les filles étant trois à six fois plus exposées que les garçons. Une fille sur cinq dans le monde a subi des violences sexuelles (Hillis 2016 cité par l’OMS). Et selon les résultats de l’enquête IVSEA 2015 de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie : 81% des victimes de violences sexuelles ont subi les premières violences avant l’âge de 18 ans, 51% avant 11 ans, et 21% avant 6 ans. 

Au vu de ses résultats, on peut en conclure que la loi actuelle sur les délais de prescription en cas de viol ou d’agression sexuelle est inadaptée et mériterait d’être modifiée avec, comme en Californie, une imprescriptibilité pour les crimes sexuels. Faute de mieux, nous espérons que sera voté le rallongement du délai de prescription à 30 ans après la majorité pour les mineurs et à 20 ans pour les crimes sexuels pour les majeurs et de 6 ans pour les agressions sexuelles.


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[1] Des études prospectives aux États-Unis (Williams, 1995Widom, 1996) ont montré que 17 ans et 20 ans après avoir été reçues en consultation dans un service d’urgence pédiatrique, pour des violences sexuelles qui avaient été répertoriés dans un dossier, 38% des jeunes femmes interrogées pour la première étude, 40% pour l’autre, et 37% pour notre étude IVSA en 2015 ne se rappelaient plus du tout les agressions sexuelles qu’elles avaient subies enfant.
[2] cf. les derniers chiffres concernant les viols 2015 rapportés par la MIPROF : Lettre 8 - Violences faites aux femmes principales données - nov1

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