lundi 1 février 2016

Article de Muriel Salmona dans le Plus de l'Obs : Pourquoi les femmes qui subissent des violences conjugales peinent à fuir ? Jacqueline Sauvage gracié ? Les femmes victimes de violences ne son pas assez protégées.








LE PLUS. François Hollande va-t-il gracier Jacqueline Sauvage, condamnée à 10 ans de prison pour avoir abattu son mari violent ? La famille de cette femme de 66 ans, qui demande sa libération, a été reçue le 29 janvier dernier à l'Élysée. Pourquoi les femmes qui subissent des violences conjugales peinent à les dénoncer ou à fuir ? Les explications de la psychiatre Muriel Salmona.



de la Dre Muriel Salmona, psychiatre-psychotraumatologue, présidente e l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
Édité par Sébastien Billard  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux




Une femme victime de violences par son conjoint est censée s’opposer, partir et porter plainte dès le premier coup qu’elle reçoit. Si, comme Jacqueline Sauvage, elle est restée de nombreuses d’années à subir des violences sans les dénoncer, ni fuir, cela suscite le doute et l’incompréhension.

Ne ment-elle pas ? N’est-ce pas sa faute puisqu’elle n’a pas réagi ? Et ces violences, n’y a-t-elle pas consenti et trouvé son compte par masochisme ?

Une culture qui culpabilise les victimes

Penser cela, c’est adhérer à une culture du déni de la violence particulièrement injuste qui culpabilise les victimes.

C’est faire l’impasse sur la réalité de l’enfer que ces femmes vivent, sur la gravité des menaces qui pèsent sur elles, sur les nombreuses stratégies des conjoints violents qui organisent leur emprise et leur impunité, et sur les troubles psychotraumatiques induits par les violences qui mettent les victimes hors d’état de réagir et les piège durablement. La violence est un formidable outil de soumission qui annihile les capacités de défense des victimes.

Au lieu de se demander comment un homme s’autorise à être si violent, et arrive à transformer l’espace conjugal et familial en une zone de non-droit et de terreur pendant tant d’années, c’est à la victime qu’on demande presque toujours des comptes.

Elle est sommée d’expliquer pourquoi elle n’a pas pas réagi, pourquoi elle est restée si longtemps avec un conjoint qui la battait, la violait, et maltraitait également les enfants, pourquoi elle n’a rien dit, ni porté plainte. On lui demande de s’expliquer sur les phénomènes d’emprise qu’elle subit, alors que c’est elle qui aurait besoin d’être informée sur les mécanismes qui en sont à l’origine pour qu’elle puisse les comprendre et y échapper.

La protection n’est pas la règle, loin s’en faut

Bien sûr que toute personne qui subit des violences souhaite plus que tout être protégée et que ses droits soient respectés, mais encore faudrait-il que ce soit possible… Or la protection n’est pas la règle, loin s’en faut.

Chaque année, seules 14% des plus de 220.000 femmes victimes de violences conjugales portent plainte et ce taux descend à 2% pour les 40.000 femmes victimes de viols conjugaux. 120 à 140 femmes meurent sous les coups de leur conjoint, et plus de 30 enfants sont tués en même temps que leur mère, la séparation étant le moment le plus dangereux [1].

Il est donc particulièrement cruel de faire peser sur ces femmes des soupçons parce qu’elles n’ont pas pu se protéger sans prendre en compte ce qui rend toute fuite impossible :

- les menaces des conjoints violents que ce soit sur elles, les enfants ou d’autres proches,
- le risque d’être encore plus violentées ou d’être tuées quand elles décident de partir,
- les contraintes et les manipulations psychologiques qui permettent de les culpabiliser et de les contrôler,
- la mise en place de dépendances financières, économiques et administratives qui les privent d’argent, de travail et de papier. 

Les conjoints violents instrumentalisent les enfants

Dans un monde à l’endroit, les femmes victimes de violences conjugales devraient être immédiatement protégées, quand elles appellent à l’aide.

Dans notre réalité, c’est très loin d’être le cas, il est rare que les menaces de mort soient prises au sérieux, et que leur sécurité soit réellement assurée, même si maintenant des mesures de protection existent en plus de l’hébergement en foyer comme l’ordonnance de protection et le téléphone grand danger.

De plus, après la séparation, il est fréquent que les conjoints violents utilisent les enfants pour continuer à exercer des violences lors de l’exercice de leur autorité parentale et de leurs droits de visite.

Si les enfants, quand ils sont directement menacés, peuvent donner aux femmes victimes la force de porter plainte et de partir pour les protéger, ils peuvent être, a contrario, une raison majeure de ne pas dénoncer les violences en raison de la peur de perdre leur garde en cas de séparation (d’autant plus si les violences ont un impact lourd sur la santé mentale des femmes), et en raison des risques que les enfants pourraient courir en étant seuls lors des droits de garde maintenus avec un père violent, sans que la mère puisse  s’interposer et tenter de les protéger.

Un impact psychotraumatique qui piège la victime

Deux autres raisons majeures empêchent les victimes de partir, elles sont liées à des symptômes psychotraumatiques, presque toujours présents lors de violences graves et répétées, d’autant plus s’il y a eu viols.

La violence a un pouvoir de sidération qui désactive les fonctions supérieures, expose à un stress dépassé entraînant le déclenchement de mécanismes neuro-biologiques de survie pour échapper à un risque vital cardio-vasculaire et neurologique. Ces mécanismes s’apparentent à une disjonction des circuits émotionnels et de la mémoire avec la mise en place d’une dissociation traumatique et d’une mémoire traumatique.

1. La dissociation traumatique

Tout d’abord, la dissociation traumatique. Tant que la victime reste en contact avec son agresseur, le danger et la sidération persistent ainsi que le stress extrême, et le mécanisme de sauvegarde continue d’être enclenché produisant chez la victime un état de dissociation traumatique chronique.

Cet état déconnecte la victime de ses émotions, l’anesthésie et l’empêche de prendre la mesure de ce qu’elle subit puisqu’elle paraît tout supporter. Les faits les plus graves, vécus sans affect, ni douleur exprimée, semblent si irréels qu’ils en perdent toute consistance et paraissent n’avoir jamais existé (amnésie dissociative). L’entourage, face à la dissociation de la victime et son apparent détachement, ne va pas prendre conscience du danger.

De plus la dissociation est une véritable hémorragie psychique qui vide la victime et qui annihile ses désirs et sa volonté. Elle se sent perdue et ne se reconnaît plus, elle est comme un pantin. De ce fait, il lui est très difficile de se projeter dans un autre espace, une autre vie, elle s’en sent incapable. Cet état facilite grandement l’emprise par l’agresseur qui en profite pour coloniser le psychisme de la victime et la réduire en esclavage.

2. La mémoire traumatique

Ensuite, la mémoire traumatique des violences scelle plus encore cette emprise : lors des violences, la disjonction empêche la mémoire émotionnelle d’être intégrée en mémoire auto-biographique par l’hippocampe (structure cérébrale qui est le système d’exploitation de la mémoire et du repérage temporo-spatial), cette mémoire reste donc bloquée dans la structure cérébrale à l’origine de la réponse émotionnelle : l’amygdale cérébrale.

Elle y est hors temps, hors de toute possibilité d’analyse et de tri. Elle est indifférenciée comme un magma qui contient à la fois tout ce qu’a ressenti la victime, les violences, et les mises en scène du conjoint violent. Elle va se déclencher au moindre lien rappelant les violences, comme une machine à remonter le temps en faisant revivre sous la forme de flashbacks les pires moment.

Cette mémoire traumatique se charge de plus en plus lors des épisodes de disjonction qui peuvent durer de quelques minutes à des mois, voire des années si les violences se répètent en continu.

Et, telle une bombe à retardement, aussitôt que la victime n’est momentanément plus en état de dissociation (par exemple si l’agresseur est absent, si elle est protégée, ou si une violence encore plus extrême dépasse les capacités de disjonction), elle explose et envahit l’espace psychique de la victime en lui faisant revivre à l’identique ce qui a été enregistré.

Une emprise totale sur la victime

La victime ressent alors la terreur et les douleurs provoquées par les violences, avec une acuité intolérable, la dissociation n’étant plus là pour les atténuer. Elle ré-entend les paroles et les mises en scène culpabilisatrices haineuses et méprisantes de l’agresseur "tout est de ta faute, tu l’as bien mérité, tu ne vaux rien, tu n’es rien sans moi, etc."

La victime, dès qu’elle n’est pas avec son conjoint, se retrouve donc envahie et terrorisée par la mémoire traumatique des violences, avec un discours intérieur qui l’attaque et l’humilie, et qu’elle pense être le sien puisque c’est là, dans sa tête, alors qu’il s’agit de celui de son conjoint.

La victime, colonisée par ce discours, se croit coupable, folle, incapable voire même ressent de la haine pour elle-même, ce qui rend toute prise de conscience de ses droits et toute fuite extrêmement difficile à envisager. La mémoire traumatique transforme en enfer les seuls moments où elle pourrait récupérer, organiser sa défense et sa fuite.

Comment, dans ces conditions, la victime peut-elle échapper à l’emprise de l’agresseur, comment peut-elle envisager son autonomie ? Elle est sans cesse sous son contrôle même quand il n’est pas là ! Et si elle réussit à se sauver et trouver un refuge où elle est en sécurité, elle sortira alors de sa dissociation, et elle sera envahie par sa mémoire traumatique.

Le piège se referme sur elles

Au lieu d’être plus sereine, elle ressentira une détresse intolérable et subira des attaques intra-psychiques qui la culpabiliseront et la disqualifieront.

Il y a alors un grand risque qu’elle retourne avec son agresseur qui, en ayant le pouvoir de la dissocier aussitôt, va l’anesthésier ; elle pourra croire qu’elle l’a dans la peau et qu’elle ne peut pas se passer de lui, alors que c’est dans son amygdale cérébrale qu’il loge !

Ce comportement, en apparence paradoxal, est un processus psychotraumatique habituel qui aurait pu être traité, ou tout au moins expliqué, ce qui aurait permis à la victime d’anticiper et de désamorcer ces émotions traumatiques trompeuses.

Cette oscillation entre dissociation traumatique et mémoire traumatique explique pourquoi la victime est souvent condamnée à rester sous l’emprise de son conjoint. Le piège est refermé sur elle, seules une protection et une prise en charge par des professionnels formés en psychotraumatologie pourra lui permettre de s’en libérer.


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1 commentaire:

Josick a dit…

Qu'elles ne se sauvent pas, qu'elles ne se débattent pas... Cela indique qu'il avait eu mise en place d'une dissociation traumatique bien avant qu'elles ne soient la proie d'un violeur ou assimilé. Ce dernier n'est que l'arbre qui masque la forêt, l'arbre qui est là pour révéler la forêt, celle-ci constituée par de multiple agressions quotidiennes durant la tendre enfance, agressions verbales ou physiques, agressions ayant finalement réalisées la mise en place d'une dissociation traumatique sans que cela ne se voit. Une "belle" et criante agression la révélant alors, bouc émissaire facile.
Moins la tendre enfance aura été abîmée, plus aisée sera la résilience en cas d'agression considérée traumatique, s'ajoutant à des traumatismes existants.
Personnellement j'ai été retenu, préscolaire, par une femme pour assouvir sa jouissance. La mémoire m'en ai revenue brutalement 17 ans après les faits. Comme on l'écrit dans Le garçon invisible : « Il est triste de constater que les hommes victimes et leurs porte-parole risquent gros en s’opposant au statu quo et qu’ils subissent de fortes pressions pour rester tranquilles. N’est-il pas paradoxal que les pressions exercées sur eux ne font que reproduire, à un niveau social, les mêmes modèles de silence, de déni, et de tentative de banalisation qu’ils ont subis aux mains de leurs agresseurs ? »

J'ai donc été bien seul... Mais plus de 50 ans après les faits, je pense enfin avoir trouvé le fin mot de toute cette histoire, sa clé que je viens de livrer dans un post rédigé cette nuit : Ces mères qui nous tiennent sous leur coupe.

Je n'en veux plus du tout à cette femme me retenant car elle m'a finalement permis d'éprouver une chaleur corporelle dont mon milieu, ma mère, me privait. Ainsi, né prématuré en début d'une année froide -l'eau dans les sceaux gelait dans la maison-, j'ai été élevé aux biberons froids car ma mère n'avait pas le temps de les chauffer. Accepter d'avoir éprouvé une chaleur corporelle pourtant interdite, cela m'a permis de mettre en route, à 58 ans, mon propre foyer.
Mettre en avant un côté dominateur des femmes qui doit être maîtrisé risque de ne pas du tout plaire. Les femmes qui refusent tout contre pouvoir doivent être absolument évitées. Elles ne peuvent qu'être la source d'une accentuation de la dissociation traumatique et génèrent ces monstres violeurs et autres qu'elles prennent ensuite en pleine poire comme un retour du balancier. Au lieu d'accuser les hommes, la paille dans l'oeil de l'autre, les femmes feraient bien de regarder la poutre qui les aveugle, poutre que je viens de dénoncer, voir mon post déjà cité : https://josickblog.wordpress.com/2016/02/05/ces-meres-qui-nous-tiennent-sous-leur-coupe/