vendredi 14 août 2015

Nouvel article sur Le Plus de l'Obs de la Dre Muriel Salmona : Plaintes pour viol : les victimes continuent de se taire. Des solutions existent 14 août 2015












LE PLUS. En cinq ans, le nombre de viols dénoncés aux autorités a augmenté de 18% en France, selon "Le Figaro". Comment analyser ces chiffres ? Pour Muriel Salmona, psychiatre, deux éléments expliqueraient cette augmentation : les victimes parlent probablement davantage et le nombre de viols par an est plus important. Explications.





Muriel Salmonapsychiatre, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ,

Édité par  Anaïs Chabalier  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux

Publié le 14 août 2015









Quand on sait que ces chiffres de plaintes pour viol de l’ONDRP (l’Observatoire national des réponses pénales) relayés par "Le Figaro" ne sont qu’une infime partie de l’ensemble des viols commis chaque année en France, il est difficile d’en tirer des conclusions.

Est-ce parce qu’il y a plus de viols depuis 2010 ? Est-ce parce qu’il y a davantage de victimes qui arrivent à porter plainte, parce qu’on en parle plus ? La deuxième hypothèse est plus probable, mais on n’en sait rien…

1 à 2% des violeurs seraient condamnés

En revanche, ce que nous savons avec certitude, c’est que le nombre de viols par an est beaucoup plus important, au moins 10 fois plus. De même, nous savons que l’abandon des victimes est la norme, et que l’impunité de ces crimes règne en maître : 1 à 2% des violeurs seulement seraient condamnés.

L’ONDRP nous dit que seuls 10% des viols font l’objet de plainte. Mais ce pourcentage est calculé à partir du rapport entre les chiffres de viols déclarés aux autorités et ceux établis par les enquêtes de victimation Cadre de Vie et Sécurité de l’INSEE (interroger des gens échantillonnés de façon à représenter la population d'un pays sur les infractions dont ils ont été victimes).

Les chiffres les plus récents de ces enquêtes faisaient état en 2012 de 86.000 femmes violées par an et 16.000 hommes, soit 102.000 personnes victimes de viol chaque année. Ce chiffre mis en perspective avec les 10.762 plaintes pour viols en 2010 donne effectivement un pourcentage d’environ 10%.

Les mineurs ne sont pas comptabilisés

Mais si les plaintes prennent en compte toutes les personnes, il n’en est pas de même pour les enquêtes, qui ne prennent en considération que les adultes de 18 à 75 ans, résidant en France métropolitaine.

Les autres, les moins de 18 ans, qui sont les principales victimes de viol (que ce soit pour les plaintes : 55%, ou sur la vie entière : 59% des femmes et 67% des hommes ayant subi des viols ou des tentatives de viol les ont subis avant l’âge de 18 ans), les résidents des DOM-COM (où d’après les chiffres de plaintes on compte trois à quatre fois plus de viols), les personnes en institution et les sans-toit ne sont pas comptabilisées.

Si nous prenons en compte le pourcentage le plus bas de 55% de viols subis en tant que mineurs (chiffre donné par les plaintes), il y aurait, en plus des 102.000 viols sur des adultes, au moins 125.000 sur des mineurs (chiffre le plus bas), soit 227.000 viols (sans compter ceux commis dans les DOM-COM, sur les plus de 75 ans et sur les personnes en institution, en foyer et ceux sans toit).

Si "trente-trois viols sont déclarés chaque jour en France, soit un toutes les quarante minutes en moyenne", ce sont au moins 622 viols qui sont commis par jour, lorsqu’on tient compte des victimes mineures, soit un peu plus d’un viol toutes les deux minutes et demi en moyenne.

Si l’on rapporte ce chiffre global de 227.000 viols par an, chiffre qui reste très sous-estimé, à celui des 12.768 personnes qui ont porté plainte pour viol en 2014, il apparaît que ce sont 5,6% de viols seulement qui sont dénoncés aux autorités. Bien moins que le pourcentage habituel de moins de 10%, régulièrement avancé.

Les victimes de viols moins enclines à porter plainte

La future enquête nationale sur les violences, intitulée VIRAGE (Violences et rapports de genre), prévoit d’inclure les collectivités territoriales d’Outre-Mer. Elle se propose en revanche de n’étudier qu’un échantillon représentatif âgé de 20 à 69 ans : encore une fois ni les mineurs, ni les personnes les plus âgées, ni les plus marginalisées ne seront interrogées.

Ce sont donc de 90 à plus de 94% des viols qui ne feront pas l’objet d’enquêtes, ni de poursuites.

Les droits des victimes à être protégées et à obtenir justice ne sont pas respectés. Dans l’enquête nationale de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte (IVSEA, 2015), soutenue par l’UNICEF France, 83% des victimes de viols rapportent n’avoir jamais été protégées, ni reconnues.

Il a été démontré que les victimes de violences sexuelles sont moins enclines à porter plainte que les victimes de n’importe quel autre crime ou délit [1].

Ces violences sont souvent commises par des proches

Pourquoi la majorité des victimes renoncent-elles à porter plainte ?

Avant tout, rappelons que les violences sexuelles ont lieu dans tous les milieux, à tous les âges et ne concernent pas uniquement les femmes "attractives" selon le canon de la séduction.

Rappelons que les personnes les plus vulnérables : les enfants et les femmes handicapées subissent bien plus de violences sexuelles ; que ce sont des proches qui en très grande majorité commettent ces violences et dans 50 % des cas une personne de la famille pour les enfants et un conjoint ou un partenaire pour les adultes, le plus souvent au domicile de la victime…

Et que 81% des premières violences sexuelles sont subies avant 18 ans, 51% avant 11 ans, 21% avant six ans (enquête IVSEA, 2015).

Des conséquences psychotraumatiques graves

Rappelons également que les violences sexuelles ont le triste privilège d'être les violences qui ont les conséquences psychotraumatiques les plus graves, avec un risque de développer un état de stress post-traumatique chronique associé à des troubles dissociatifs très élevés chez plus de 80% des victimes de viol (Breslau, 1991), voire 100% quand il s’agit d’enfants et d’inceste (Lindberg, 1985).

Les conséquences psychotraumatiques peuvent s'installer pendant des années, des dizaines d'années, voire toute la vie.

On retrouve un impact sur la santé mentale pour 95% des victimes, et sur la santé physique pour 70% d’entre elles, avec une souffrance psychique importante pour plus de la moitié d’entre elles (IVSEA, 2015).

Les violences subies dans l’enfance sont le déterminant majeur de la santé des victimes 50 ans après, si rien n’est fait pour les protéger et les soigner [2].

Pour les victimes, il est difficile de parler

Ces réalités permettent de comprendre qu’il est beaucoup plus difficile de parler pour une victime.

Quand elle est toute petite et n’a pas la possibilité de comprendre, ni de dire ce qui s’est passé ; et quand elle est dépendante de l’agresseur et sous son autorité, ce qui est le cas des enfants et des personnes vulnérables, en situation de grand handicap, des patients face aux soignants…

De même, il est beaucoup plus difficile de parler quand on vit avec l’agresseur ou qu’on le côtoie quotidiennement.

"Les agresseurs sont des proches pour plus de 80% des victimes adultes, et plus de 90% des victimes mineures", et quand on est victime de viols conjugaux, qu’on n’est pas informé sur la loi et qu’on pense être obligé de se soumettre au "devoir conjugal" (cela explique pourquoi les victimes de viol conjugal ne sont que 2% à porter plainte).

Rester en contact avec l’agresseur, c’est être sous son emprise

Rester en contact avec l’agresseur, pour la victime, c’est être sous son emprise, sous ses menaces, c’est subir ses manipulations, c’est également subir la loi du silence à l’œuvre dans les familles, les entreprises ou les institutions.

Rester en contact, c’est également être en danger et être traumatisé en permanence avec la mise en place de stratégies de survie neurobiologiques qui entraînent un état dissociatif avec une anesthésie émotionnelle et sensorielle, la victime se retrouvant déconnectée, en mode automatique, avec une pseudo-tolérance et indifférence à ce qui lui arrive, dans un sentiment d’irréalité, qui rend toute analyse de sa situation et toute démarche impossible.

D’autant plus que cet état dissociatif entraîne de fréquentes amnésies traumatiques qui peuvent durer des années, celles-ci se levant quand la victime n’est plus exposée à l’agresseur ou à des violences, quand elle est enfin protégée [3].

Les victimes ont peur de ne pas être crues

Les victimes traumatisées sont également aux prises avec une mémoire traumatique qui leur fait revivre de façon non contrôlée les violences, la terreur et la détresse, et les mises en scène et les phrases assassines des agresseurs.

Cela explique pourquoi, même si elles ne sont plus en contact avec l’agresseur, il leur est si difficile de parler des violences qu’elles ont subies sans avoir des attaques de panique et sans être envahies par les propos culpabilisants et méprisants des agresseurs ("c’est de ta faute", "tu l’as bien cherché", "tu l’as voulu", "personne te croira ou te viendra en aide car tu vaux rien", etc.) [4].

Enfin, les victimes ont peur de ne pas être crues et d’être mises en cause, souvent à juste titre malheureusement, car beaucoup de personnes et de professionnels censés les aider et les prendre en charge sont contaminées par des stéréotypes catastrophiques qui font que la victime est fréquemment soupçonnée de mentir, d’être responsable de ce qui lui est arrivé, d’avoir été consentante, c’est ce qu’on appelle la culture du viol.

Informer sur la réalité des violences sexuelles 

Que faut-il faire ?

Pour sortir du déni, de la loi du silence et de l’impunité, pour lutter contre l’abandon où sont laissées les victimes, pour qu’elles soient enfin protégées et qu’elles puissent accéder à des soins et à une justice, il faut :

- ne plus tolérer les violences sexuelles quelles qu’elles soient et mettre en place des procédures judiciaires adaptées et respectueuses des droits des victimes et de leur protection ;

- informer sur la réalité des violences sexuelles et sur leurs conséquences psychotraumatiques, faire de la prévention dès la maternelle ;

- lutter contre les inégalités, les discriminations et les stéréotypes ;

- former tous les professionnels prenant en charge les victimes ;

- mettre en place une offre de soin adaptée et accessible à toutes les victimes ;

- il est impératif de protéger les victimes et pour cela d’aller vers elles pour les identifier, et non d’attendre qu’elles viennent parler, pour cela il faut rechercher auprès de toutes les personnes si elles ont subi ou si elles subissent des violences sexuelles en leur posant régulièrement la question.


[1] Chen Y., "Wommen’s reporting of sexual and physical assault to the police in the national violence against women survey" in Violence against Women, vol 16, n°3, 2010, p 262-279

[2] L’enquête nationale de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte (IVSEA, 2015), soutenue par l’UNICEF France a été menée auprès de plus de 1200 victimes de violences sexuelles, le rapport dont Laure Salmona est l’auteure, est téléchargeable sur http://stopaudeni.com et http://www.memoiretraumatique.org

[3] "Le livre noir des violences sexuelles", Muriel Salmona, éditions Dunod, 2013.

[4] Ibid


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