samedi 14 juillet 2012

Les violences envers les adolescentes : sensibilisation et prévention " texte de l'intervention de la Dre Muriel Salmona à la journée scientifique du collège de gynécologie de Normandie le 2 juin 2012



Texte de l'intervention de Muriel Salmona à la Journée scientifique du collège de gynécologie de Normandie : "L'adolescente" le 2 juin à Deauville.
"Les violences envers les adolescentes : sensibilisation et prévention"
Les violences auxquelles les adolescentes et les jeunes majeures sont les plus exposées, sont les violences sexuelles et les violences intra-familiales. Les violences sexuelles touchent majoritairement les femmes les plus jeunes (mineures et jeunes majeures), les chiffres sont importants à 14 ans 6% des adolescentes ont subi des violences sexuelles, et 12% à 18 ans, et 14% à 21 ans (INSERM Marie Choquet et enquête CSVF 2007) contre 2% chez les garçons, rappelons que 16% des femmes ont subi des viols et des tentatives de viols dont 59% avant 18 ans (enquête CST INSERM 2008). 80% des violences sexuelles sont commises par des proches. Pour les violences physiques 13% des adolescentes ont subi des coups au cours de l'année qui précède, elles les subissent bien plus dans le milieu familial que les garçons (32%/5%) et moins que les garçons à l'école (37%/52%), lors de l'adolescence les violences physiques diminuent avec l'âge (de 14 à 18 ans) contrairement aux violences sexuelles (ISERM Marie Choquet). Dans les espaces publics et à l'université les jeunes filles ont un risque important de subir du harcèlement sexuel, 60% des adolescentes (Enquête CSVF 2007) ont subi du harcèlement sexuel dans l'espace public et 15% dans le cadre scolaire, universitaire ou du travail, dans l'année qui précède. Pour les mutilations sexuelles féminines, il y aurait en France 51 000 femmes excisées, seules 11% des filles de ces femmes sont excisées mais pour les 89% des filles non excisées il existe un risque pour 3 filles sur 10 d'être excisées avant 15 ans lors d'un voyage au pays d'origine, la surveillance importante en PMI des petites filles a fait reculer l'âge de l'excision vers l'adolescence  (Enquête ExH 2007-2009). Dans la famille, les adolescentes peuvent être exposées en tant que témoin à des violences conjugales.
Les violences sont graves, ce sont des atteintes à l’intégrité psychique et physique, à la dignité et au droit de vivre en sécurité. Elles ne sont pas une fatalité, ce sont des infractions punies par la loi (des délits et des crimes comme avec le viol et les mutilations sexuelles féminines, ces dernières peuvent être poursuivies même si elles ont lieu en dehors de la France), et qui doivent faire pour les mineurs et les personnes vulnérables l'objet de signalements : la loi impose aux professionnels de signaler les enfants en danger ou en risque et ce jusqu'à 18 ans art 434-1 et 434-3, art 226-13 (sur la levée du secret professionnel). Et elles ont de graves conséquences sur la santé. Elles sont intentionnelles, et ont pour but de contraindre, de dégrader l’autre, l'agresseur est seul responsable, rien ne justifie la violence, la victime est piégée dans un scénario qui ne la concerne pas. 
Les violences sont commises le plus souvent par des proches (80% d'auteurs connus par la victime), au sein de la famille, du couple, de l’école, du travail, des institutions, dans des situations d’inégalités et de discriminations (sexistes, raciste, liés à des handicaps, etc.).  la majorité des violences restent tues, la loi du silence s'impose aux victimes (seulement moins de 10% des violences font l'objet de plaintes). Les violences subies sont beaucoup plus fréquentes que les violences agies, et il y a un lien important (ROR >8) entre violences agies et violences subies. L’ONU en 2010 a reconnu que le principal facteur de risque pour subir des violences ou en commettre est d’avoir déjà subi des violences particulièrement dans l’enfance. 
Avoir subi des violences, surtout pendant l’enfance, est un déterminant majeur de la santé des adultes (ONU), même cinquante ans après (étude de Felitti et Adda, 2010), avec une corrélation très importante avec la survenue d’accidents cardio-vasculaires, de morts précoces, de suicides, de dépressions, d’addictions, d’obésité, de troubles psychiatriques, de marginalisation et de délinquance… c’est un problème majeur de santé publique.  
Les violences sont un enjeu majeur de santé publique. Elles sont très peu identifiées (il serait essentiel de poser systématiquement la question des violences dans le cadre d'un dépistage) et leurs conséquences sont rarement dépistées et diagnostiquées par les professionnels de la santé qui n'ont pas été formé pendant leurs études et qui ne le sont d'ailleurs toujours pas. Actuellement la majorité des victimes est abandonnée sans soin spécifique et va devoir développer des stratégies de survie et d’auto-traitement. Or la protection et la prise en charge des victimes de violences sont essentielles et doivent être les plus précoces possibles ce qui rend d'autant plus efficaces les soins et permet non seulement d'éviter des vies fracassées, mais aussi d'arrêter des violences subies ou agies qui se produisent de générations en générations. La prévention des violences faites est un devoir pour tout professionnel et tout citoyen importance d'en connaître la fréquence, les conséquences et les mécanismes, de les dépister, de les faire cesser, d'orienter les victimes vers des prises en charge.
Les violences intra-familiales et les violences sexuelles sont les violences qui ont les plus graves conséquences sur la santé psychique et physique, et les plus durables. elles peuvent faire courir un risque vital et elles sont responsables d'une atteinte à l'intégrité physique et psychique des victimes. Près de 60% des victimes de violences intrafamiliales, 80 % des victimes de viols et de 60 % de victimes d'agressions sexuelles peuvent présenter des troubles psychotraumatiques (contre 24 % lors de traumatismes en général, Breslau et Al., 1991) Les violences ont un impact catastrophique sur la qualité de vie des victimes, avec une dégradation de leur vie personnelle, familiale, amicale, amoureuse, sociale, scolaire et professionnelle.
Impact des violences sur la santé des adolescentes :
  • risque vital : accidents (liés aux conduites à risques : risque multiplié par 8 à 10 fois, c'est la première cause de mortalité chez les jeunes), Tentatives de suicides (risque multiplié par  10 à 20 fois, deuxième cause de mortalité chez les jeunes), homicides
  • troubles psychotraumatiques
      • état de stress post-traumatique chronique (> à 3 mois) avec la triade : symptômes d'intrusion (mémoire traumatique : flashbacks, réminiscences, cauchemars), symptômes d'évitement et de contrôle (isolement et retrait), hyper réactivité neuro-végétative (hypervigilance, insomnie, sursaut) accompagné :
      • de symptômes dissociatifs (sentiments d'étrangeté, anesthésie émotionnelle, dépersonnalisation, absences, sentiment d'être différent), 
      • de troubles anxieux (crises d’angoisse, attaque de panique, phobies sociales et autres, TOC ) et des troubles de l'humeur : dépression (idées suicidaires, tentatives de suicide, douleur morale, aboulie, apragmatisme, impossibilité de se projeter dans l'avenir, perte du goût de vivre, repli sur soi, mutisme, pleurs)
      • risque de conduites à risque : fugues, mise en danger, sports extrêmes, jeux dangereux, conduites auto-agressives avec scarifications, auto-mutilation, conduites addictives : tabac, alcool, drogue, jeux, achats compulsifs, sexualité compulsive : avec multiplication des partenaires, parfois des inconnus, sans protection, voire des situations prostitutionnelles, conduites à risque sexuelles, MST, grossesses précoces, IVG à répétition (25% des IVG sont liées à des violences, départ précoce du domicile familial, avec un risque élevé de subir de nouvelles violences
      • troubles alimentaires : anorexie, boulimie
      • troubles de la mémoire, de la concentration, et de l’attention, troubles du sommeil (insomnies, réveils nocturnes,  parasomnies, cauchemars).
      • troubles de la personnalité (personnalité border-line : labilité d'humeur, agressivité, manque de confiance, mauvaise estime de soi, sentiment de honte et de culpabilité, amnésie ; personnalité asociale)
  • risque de victimisation
  • risque de délinquance et de violences agies
  • risque d’échec scolaire, de marginalisation (phobies scolaires, absentéisme et un arrêt des activités extra-scolaires)
  • troubles de la sexualité : 
    • soit un évitement de l’activité sexuelle et des rapprochements amoureux, pouvant aller jusqu’à une phobie de l'acte sexuel, un évitement de tout contact, un dégoût pour la sexualité ou pour certaines pratiques habituelles (baiser sur la bouche, pénétration, rapport bucco-génitaux, certaines caresses).
    • soit une difficulté à avoir des rapports sexuels même s'ils sont souhaités, avec une trop grande angoisse, voire des attaques de panique, des nausées, ou bien un vaginisme rendant toute pénétration difficile ou impossible.
    • soit une absence de plaisir lors des rapports sexuels, absence de toute sensation avec une anesthésie corporelle aux niveau des organes génitaux et des zones habituellement érogènes. Les personnes excisées rapportent voir moins de désir sexuel, et plus de douleurs lors des rapports sexuels que les personnes non excisées (Enquête ExH 2007-2009).
    • peur ou une véritable phobie des examens gynécologiques, de la grossesse, des infections urinaires, etc. 
    • Des comportements sexuels inappropriés et à risque  : sexualité compulsive : partenaires multiples, parfois des inconnus, sexualité violente, absence de protection, IVG à répétition, grossesse précoce, masturbation compulsive, exhibitions, auto-mutilations sexuelles, comportements et propos hyper sexualisés, risque prostitutionnel (plus de 70% des personnes prostituées ont subi des violences sexuelles mineures, l'entrée en prostitution se fait vers 14 ans en moyenne), agressions sexuelles et viols subis
  • troubles somatiques : fatigue chronique, douleurs chroniques, céphalées, troubles digestifs (nausées, vomissements, ballonnements, douleurs abdominales, constipation, anisme), respiratoires, cardiologiques, dermatologiques, gynécologiques (cystites à répétition, règles très douloureuses, douleurs pelviennes), diabète

Il y a une tradition de sous-estimation des violences faites aux mineurs, de leur gravité, de leur fréquence, tradition de banalisation d'une grande partie de celles-ci, voire de justification (violence éducative : châtiments corporels ; violences sexuelles : sexisme et nombreux préjugés et stéréotypes sur la sexualité avec une confusion entre sexualité et violence, sexualité et pornographie). Les violences sexuelles sont souvent déniées voir tolérées par une société encore très inégalitaire et discriminante par rapport aux femmes  et qui véhicule de nombreux préjugés sur la sexualité. À laquelle s'ajoute une méconnaissance de la gravité des conséquences sur la santé des violences, particulièrement sur la santé psychique. Les violences sont « des situations anormales entraînant des conséquences psychotraumatiques normales » fréquentes, graves et durables, liées à la mis en place de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde. De plus, il y a également une méconnaissance des conséquences sociales des violences sur l'apprentissage, sur les capacités cognitives, sur la socialisation, sur les risques de conduites asociales et de délinquance, sur les risques d'être à nouveau victime de violences ou d'en être auteur, et une stigmatisation des troubles de la conduite et des troubles du comportement des adolescents qui masquent une souffrance non reconnue et qui sont directement liés à des troubles psychotraumatiques (mémoire traumatique et dissociation), ainsi qu'une banalisation de signes de souffrance mis sur le compte de la crise d'adolescence et à l'inverse une dramatisation de symptômes psychotraumatiques (dissociatifs et intrusifs) parfois étiquetés psychotiques et traités abusivement comme tels.
Les violences sont très peu dépistées et leurs conséquences sont rarement diagnostiquées par les professionnels de la santé qui n'ont pas été formé pendant leurs études et qui ne le sont d'ailleurs toujours pas. Or la prise en charge des conséquences des violences est essentielle et doit être la plus précoce possible ce qui la rend d'autant plus efficace et permet d'éviter des vies fracassées, et permet d'arrêter des violences subies ou agies qui se produisent de générations en générations. La prévention des violences faites aux enfants est un devoir pour tout professionnel prenant en charge des enfants ou des parents: importance d'en connaître la fréquence, les conséquences et les mécanismes, de les dépister, de les faire cesser, d'orienter les adolescentes vers des prises en charge spécialisées.
Mécanismes neuro-biologiques psychotraumatiques :
Les sévices sexuels sont à l'origine de graves conséquences sur l'intégrité physique et psychique directement liées à l'installation de troubles psychotraumatiques sévères (dont l'état de stress post traumatique) qui, s'ils ne sont pas pris en charge spécifiquement et si les victimes ne sont pas secourues, crues et bien accompagnées, peuvent se chroniciser et durer de nombreuses années, voire toute une vie, et avoir un impact très lourd sur la santé des victimes. Les viols ont le triste privilège d'être avec la torture celles qui vont avoir les conséquences psychotraumatiques les plus graves, avec un risque de développer un état de stress post traumatique chronique très élevé, avec de 60 à 80 % (pour les viols) de risque de les développer alors que lors de traumatismes en général il n'y a que 24 % de risques. Lors de viols, la mise en scène de meurtre de l'agresseur associée à sa volonté de faire le plus souffrir la victime, de la dégrader, de l'humilier et de porter atteinte à sa dignité, génèrent chez les victimes un sentiment de mort psychique, elles se perçoivent comme des survivantes et même, pour  certaines, comme des « mortes vivantes ».
Les troubles psychotraumatiques sont des conséquences normales des violences qui s'expliquent par la mise en place de mécanismes neuro-biologiques et psychiques de survie à l'origine d'une mémoire traumatique. Ces mécanismes sont mieux connus depuis une dizaine d'années. Ils sont pathognomoniques, c'est-à-dire qu'ils sont spécifiques et qu'ils sont une preuve médicale du traumatisme. Ils ne sont pas liés à la victime mais à la gravité de l'agression et à l'intentionnalité destructrice de l'agresseur.
Ces troubles psychotraumatiques sont méconnus presque jamais identifiés, ni diagnostiqués (les médecins, les psychiatres ne sont pas formés), et en tout état de cause gravement sous-estimés. les victimes sont donc abandonnées sans traitement spécialisé. Alors qu'elles sont polytraumatisées psychiquement et neurologiquement (atteinte du système limbique, altérations neuronales) on les laisse sans soin, bien qu'il existe des soins efficaces. Et non seulement on ne prend pas en compte, ni ne soigne leurs blessures et leurs symptômes psychotraumatiques, mais ils sont utilisés pour les disqualifier et nier les violences subies. Et injustice supplémentaire ces troubles psychotraumatiques leur sont continuellement reprochés comme si elles en étaient seules la cause.
Ces troubles psychotraumatiques sont générés par des situations de peur et de stress extrêmes provoquées par les violences. Ces violences sexuelles sont tellement terrorisantes, sidérantes, incompréhensibles, incohérentes et impensables qu'elles vont pétrifier le psychisme — le mettre en panne — de telle sorte qu'il ne pourra plus jouer son rôle de modérateur de la réponse émotionnelle déclenchée par l'amygdale cérébrale qui joue un rôle d'alarme en commandant la sécrétion d'adrénaline et de cortisol (hormones de stress). La réponse émotionnelle monte alors en puissance sans rien pour l'arrêter et atteint un stade de stress dépassé qui représente un risque vital cardio-vasculaire (adrénaline) et neurologique (cortisol) par "survoltage" et impose la mise en place par le cerveau de mécanismes de sauvegarde neurobiologiques exceptionnels sous la forme d'une disjonction. C'est un court-circuit qui isole l'amygdale cérébrale et qui permet d'éteindre la réponse émotionnelle. Cette disjonction se fait à l'aide de la libération par le cerveau de neuromédiateurs qui sont des drogues dures endogènes morphine-like et kétamine-like.
La disjonction entraîne une anesthésie émotionnelle et physique alors que les violences continuent et elle donne une sensation d'irréalité, de déconnexion, de corps mort, de n'être plus dans la situation, mais de la vivre de l'extérieur en spectateur, c'est ce qu'on appelle la dissociation. La dissociation peut parfois s'installer de manière permanente donnant l'impression de devenir une automate, d'être dévitalisée, déconnectée, anesthésiée, absente, confuse, une morte-vivante.
La disjonction est aussi à l'origine de troubles de la mémoire (amnésie lacunaire : "trous noirs") et d'une mémoire traumatique, la mémoire émotionnelle des violences va rester piégée dans l'amygdale, isolée elle ne pourra pas être traitée par l'hippocampe (structure cérébrale qui est un logiciel de traitement et d'encodage de la mémoire consciente et des apprentissages). Cette mémoire traumatique va alors rester en l'état, surchargée d'effroi, de détresse, de douleur et exploser ensuite à distance des violences de manière incontrôlable au moindre lien ou stimulus qui rappellent les violences (situations, lieux, odeurs, sensations, émotions, stress, etc.). Elle  fait revivre à l'identique, comme une "machine à remonter le temps"de façon intolérable les violences avec les mêmes émotions, les mêmes sensations, le même stress dépassé lors des réminiscences ou lors de cauchemars. Elle envahit totalement la conscience et provoque une détresse, une souffrance extrême et à nouveau un survoltage et une disjonction. Cette mémoire traumatique, telle une "boîte noire" contient tout le vécu émotionnel et sensoriel de la victime, les faits de violences, mais aussi tout ce qu'a mis en scène l'agresseur, ses paroles, ses expressions.
La vie devient un enfer avec une sensation d'insécurité, de peur et de guerre permanente. Il faut être dans une vigilance de chaque instant pour éviter les situations qui risquent de faire exploser cette mémoire traumatique. Des conduites d'évitement et de contrôles de l'environnement se mettent alors en place. Toute situation de stress est à éviter, il est impossible de relâcher sa vigilance, dormir devient très difficile , se concentrer, étudier est .
La vie devient un terrain miné par cette mémoire traumatique qui est tout le temps susceptible d'exploser en se rechargeant encore plus à chaque fois, et en créant au bout d'un certain nombre d'explosions une accoutumance aux drogues dures endogènes disjonctantes. À cause de cette accoutumance, l'état de stress dépassé avec survoltage ne peut plus être calmé par la disjonction, la souffrance devient intolérable, avec une impression de mort imminente. Pour y échapper il n'y a plus comme solution que de recourir au suicide ou à des conduites dissociantes, c'est-à-dire à des conduites qui augmentent brutalement le niveau de stress pour arriver coûte que coûte à sécréter suffisamment de drogues dures endogènes (pour disjoncter malgré l'accoutumance), ou qui renforcent l'effet des drogues endogènes grâce à une consommation de drogues exogènes (alcool, drogues, psychotropes à hautes doses).
Ces conduites dissociantes sont des conduites à risques et de mises en danger : sur la route ou dans le sport, mises en danger sexuelles, jeux dangereux, consommation de produits stupéfiants, violences contre soi-même comme des auto-mutilations, violences contre autrui (l'autre servant alors de fusible grâce à l'imposition d'un rapport de force pour disjoncter). Rapidement ces conduites dissociantes deviennent de véritables addictions. Ces conduites dissociantes sont incompréhensibles et paraissent paradoxales à tout le monde (à la victime, à ses proches, aux professionnels) et sont à l'origine chez la victime de sentiments de culpabilité et d'une grande solitude. Elles représentent un risque très importants pour sa santé (accidents, maladies secondaires aux conduites addictives).
Les violences et leurs troubles psychotraumatiques s'ils ne sont pas pris en charge de façon juste, humaine et adaptée vont donc être à l'origine de nombreux problèmes de santé avec une fatigue et des douleurs chroniques invalidantes, des insomnies, des troubles anxieux sévères, des états dépressifs réactionnels, des tentatives de suicides, des addictions, des troubles alimentaires, des troubles de la sexualité, des troubles de la mémoire et de la concentration, des troubles cardio-vasculaires et respiratoires, digestifs, gynécologiques, dermatologiques et endocriniens… Ces troubles psychotraumatiques auront alors un impact catastrophique sur la santé et la vie personnelle, sociale, scolaire et professionnelle des victimes et seront même un déterminant majeur de leur santé (ce que de nombreuses études ont prouvées).
Les soins spécifiques
La prise en charge est essentielle, elle consiste à faire cesser les violences, mettre à l'abri et en sécurité, et faire appel à la loi, donner des informations et expliquer les mécanismes psychologiques et neurobiologiques psychotraumatiques pour que les victimes comprennent ce qui leur arrivent, pour qu'elles puissent se déculpabiliser et avoir une boîte à outils pour mieux se comprendre, mieux se protéger et mieux se soigner, orienter vers des centres de soins spécialisés avec des médecins formés à la psychotraumatologie.
Les soins consistent à soulager la souffrance psychique en priorité, à permettre d'éviter le plus possible les conduites dissociantes, à identifier la mémoire traumatique qui prend la forme de véritables mines qu'il s'agit de localiser, et puis patiemment avec  la psychothérapie il faut la désamorcer et la déminer, en faisant des liens et en réintroduisant des représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique, ce qui va permettre de réparer et de rétablir les connexions neurologiques qui ont subi des atteintes et même d'obtenir une neurogénèse. Il s'agit de "réparer" l'effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l'irreprésentabilité des violences. Effraction responsable d’une panne psychique qui rend le cerveau incapable de contrôler la réponse émotionnelle ce qui est à l'origine du stress dépassé, du survoltage, de la disjonction, puis de l'installation d'une dissociation et d'une mémoire traumatique. Cela se fait en "revisitant" le vécu des violences, accompagné pas à pas par un "démineur professionnel" avec une sécurité psychique offerte par la psychothérapie et si nécessaire par un traitement médicamenteux, pour que ce vécu puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, sur chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le comportement de l'agresseur. Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l'hippocampe de refonctionner et ainsi de reprendre le contrôle des réactions de l'amygdale cérébrale et d'encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable. Le but, c'est de ne jamais renoncer à tout comprendre, ni à redonner du sens, tout symptôme, tout cauchemar, tout comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est fondamentalement, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être disséqué pour le relier à son origine, pour l'éclairer par des liens qui permettent de le mettre en perspective avec les violences subies. Par exemple une odeur qui donne un malaise et envie de vomir se rapporte à une odeur de l'agresseur, une douleur qui fait paniquer se rapporte à une douleur ressentie lors de l'agression, un bruit qui paraît intolérable et angoissant est un bruit entendu lors des violences comme un bruit de pluie s'il pleuvait, un bruit de chaudière si le viol a été commis tout à côté d'une chaudière, une heure de la journée peut être systématiquement angoissante ou peut entraîner une prise d'alcool, des conduites boulimiques, des raptus suicidaires, des auto-mutilations s'il s'agit de l'heure de l'agression, une sensation d’irritation, de chatouillement ou d’échauffement au niveau des organes génitaux survenant de façon totalement inadaptée dans certaines situations peut se rapporter aux attouchements subis, des “fantasmes sexuels” violents, très dérangeants dont on ne veut pas, mais qui s’imposent dans notre tête ne sont que des réminiscences traumatiques des viols ou des agressions sexuelles subies…
Rapidement, ce travail se fait quasi automatiquement et permet de sécuriser le terrain psychique, car lors de l'allumage de la mémoire traumatique le cortex pourra aussitôt contrôler la réponse émotionnelle et apaiser la détresse sans avoir recours à une disjonction spontanée ou provoquée par des conduites dissociantes à risque. Il s'agit de devenir expert en "déminage" et de poursuivre le travail seul, les conduites dissociantes ne sont plus nécessaires et la mémoire traumatique se décharge de plus en plus, la sensation de danger permanent s'apaise et petit à petit il devient possible de se retrouver, et d'arrêter de survivre pour vivre enfin.
Les violences sexuelles ne sont pas une fatalité, elles n'ont rien à voir avec la sexualité et le désir sexuel, elles ne sont que des violences terriblement efficaces (les plus efficaces avec la torture) pour détruire, dégrader et soumettre l'autre, et elles sont utilisés comme une drogue par l'agresseur pour s'anesthésier émotionnellement. La victime est toujours innocente face aux violences, elle est piégée dans un scénario qui ne la concerne pas, à jouer de force un rôle. Ces conduites violentes ne sont possibles que dans un cadre inégalitaire qui permet de fabriquer des victimes toutes désignées et de les instrumentaliser le plus souvent en toute impunité.
Les victimes de violences sexuelles quand elles sont abandonnées sont prisonnières de troubles psychotraumatiques et de stratégies de survie qui leur brouillent encore plus l'accès à leur vérité et qui participent à la loi du silence : avec de fréquentes amnésies traumatiques des violences (jusqu'à 38 % des victimes de violences sexuelles connues dans l'enfance n'en ont aucun souvenir 17 ans après, étude de Williams 1994, et 59 % seront amnésiques lors de périodes plus ou moins longues, parfois plusieurs décennies, étude de Briere, 1993), avec des souvenirs tellement saturés de troubles dissociatifs que les violences peuvent leur paraître pas si graves, ou bien irréelles, du fait d'une anesthésie émotionnelle, de sentiments d'étrangeté et de sensations d'avoir été spectatrice de la scène de violence, avec également des conduites d'évitement qui leur font éviter tout ce qui peut se rapporter aux agressions (éviter d'y penser, d'en parler), avec des sentiments de honte et de culpabilité crées de toute pièce par le comportement et les propos de l'agresseur qui les isolent et les condamnent au silence, sentiments de culpabilité aussi, parce qu'elles n'ont pas compris pourquoi elles n'ont pas pu se défendre ou fuir, pourquoi elles sont restées avec l'agresseur et ont continué à lui parler, à le voir, parce que la sidération au moment de l'agression est incompréhensible, parce que l'anesthésie émotionnelle liée à la disjonction est troublante et rend confuse, et parce que certaines conduites dissociantes à risque qui poussent à reproduire sur soi les violences ou à se mettre sexuellement en danger font naître le doute (« l'agresseur a peut être raison, et si j'aimais ça…, et si je ne méritais que ça…, et si c'était mon destin…»). Les victimes pensent aussi (souvent à juste titre malheureusement) comme le leur a dit l'agresseur que personne ne les croira, et elles peuvent avoir  peur de l'agresseur qui les a menacé ou menacé leurs proches si elles parlaient.
L'accès à des soins adaptés, spécialisés et gratuits par des professionnels formés est une revendication essentielle. Cette absence d'offre de soins est une perte de chance pour les victimes et une atteinte très graves à leurs droits fondamentaux.
Article écrit  le 21 mai 2012 par la Dre Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
Pour en savoir plus :
l'article avec les références les plus récentes paru chez Dunod : "Mémoire traumatique et conduites dissociantes" : http://stopauxviolences.blogspot.com/2012/03/dernier-article-de-muriel-salmona-avec.html
l'article "Conséquences des troubles psychotraumatiques et de leurs mécanismes neuro-biologiques sur la prise en charge médicale et judiciaire des victimes de viols" : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/doc_violences_sex/cons_troubles_psychotrauma_sur_prise_en_charge_victimes_de_viols.pdf
Et deux vidéos Pratis TV de formations médicales sur les viols et leurs conséquences psychotraumatiques  :
Et quelles ressources, numéros nationaux d’aide aux victimes :

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