dimanche 24 janvier 2010

Article du Dr Judith Trinquart : Non, la prostitution n'est pas une profession, oui à la pénalisation du client




NON, LA PROSTITUTION N’EST PAS UNE PROFESSION,

OUI A LA PENALISATION DU CLIENT

Dr Judith Trinquart

secrétaire générale de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie


posté sur le blog d'Henriette Zoughebi un monde en partage : 

http://www.unmondeenpartage.fr/non-la-prostitution-nest-pas-une-profession-oui-a-la-penalisation-du-client/legalite-cest-pas-sorcier/a-la-une


  • La prostitution n’est pas une profession, c’est une violence faite à la personne. Le système prostitutionnel s’attaque aux plus vulnérables, ce n’est pas un choix mais une situation subie dans l’immense majorité des cas (selon plusieurs études récentes dans différents pays, 98% des personnes prostituées souhaiteraient quitter la prostitution si elles le pouvaient). Cette situation de violence a été reconnue dès 1949 par la France qui a instauré un régime abolitionniste. La sénatrice Dinah Derycke a réaffirmé cette situation de violence dans son rapport en 2000 ainsi que Mme la Ministre Nicole Péry avec le rapport présenté par Malka Marcovich en 2002.
  • La prostitution est un acte marchand au cours duquel la personne prostituée subit un acte sexuel non désiré contre de l’argent. La répétition de ces actes non désirés engendre des troubles au niveau corporel, la personne se « coupe » de son ressenti corporel pour se protéger de ce vécu dont elle ne veut pas. C’est une violence faite au corps de la personne prostituée, un déni de sa personnalité, elle n’existe plus qu’en tant qu’objet marchand, sexuel. On aboutit à de véritables clivages, avec des anesthésies corporelles importantes du fait de la perte de son « soi » corporel. La prostitution détruit peu à peu l’image que la personne prostituée a d’elle-même et également son corps.
  • 80% à 95% des personnes prostituées (quel que soit le mode de prostitution) ont été victimes de violences sexuelles (inceste, pédophilie, viol) dans leurs antécédents. Les proxénètes le savent, c’est pourquoi le viol, individuel ou collectif, est un mode de « dressage » avant la mise sur le trottoir. (« La prostitution est à la société ce que l’inceste est à la famille » (Dr Jorge Barudy, psychiatre)).
  • 70% des personnes prostituées présentent un état de stress post-traumatique (ESPT), consécutif aux violences vécues dans le système prostitutionnel mais surtout à la violence du système lui-même (étude internationale de Melissa Farley). L’ESPT est un syndrome clinique composé de symptômes psychiques perturbants et handicapants dans la vie quotidienne, dont le principal est la mémoire traumatique (réminiscences) à l’origine de tous les autres tels que l’hyper vigilance, les troubles du sommeil, la perte de la concentration, les difficultés de la relation avec autrui ainsi que les conduites dissociantes…présents chez des personnes qui ont été victimes de graves violences.
  • La minorité de personnes pro-prostitution qui fait la promotion du « travail du sexe » n’est pas représentative de l’immense majorité qui subit ce système qu’elle n’a pas choisi et dont elle voudrait sortir. Il n’est qu’à voir les témoignages de nombreuse survivantes de la prostitution (ainsi quelles se désignent elles-mêmes) : Nicole Castioni, Yolande Grenson, Maldy Bonheur, Abysse Beljinka, Andrea Dworkin, et des centaines d’anonymes qui ne désirent pas se montrer à visage découvert tant est grande la violence des attaques pro-prostitution (« si tu n’aimes pas ça, n’en dégoûtes pas les autres… »)…
  • 80% des prostituées en Ile-de-France sont d’origine étrangère. Les conditions économiques, sociales, éducatives améliorées et les formidables progrès féministes qui avaient été réalisés avaient permis que la situation prostitutionnelle régresse en France. La part de prostituées dites « traditionnelles » va en diminuant. Le « marché » s’est donc tourné vers celles qui n’ont d’autre « choix » en raison de leur vulnérabilité et de leur situation financière, économique, sociale…Femmes de l’Est, d’Afrique, d’Asie, ce sont elles qui maintenant alimentent le système. Ces femmes sont inéluctablement attirées par le mirage économique et financier que représentent nos pays riches à leurs yeux. Ce n’est pas en agissant de manière inefficace sur cette « offre » avec des lois répressives (loi dite LSI, lois sur le racolage) que nous pouvons stopper la traite mais à l’autre bout de la chaîne en interrompant la demande que représente le client, d’une façon économiquement logique.
  • Réglementarisme veut dire proxénétisme. Le système utopique rêvé par les pro prostitution n’existe pas. Là où il y a prostitution, il y a exploitation de la prostitution. Les pays réglementarismes en sont le meilleur exemple. Mais dans ces pays, on ne parle plus de proxénétisme, mais d’employeurs, ou de directeurs d’entreprise, ou de gérants. Les prostituées sont des employées. Ce qui explique l’immense facilitation de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle dans ces pays. Hallucinant de voir une proposition de « travailleur du sexe » sur un site Internet : « Oui il faut accorder la libre circulation de tous, et c’est son entrave qui est d’ailleurs la principale cause de la traite » ! Où est le souci pour les victimes de la traite ? On nage en plein délire !
  • Le principal promoteur du système prostitutionnel et de son corollaire la traite à des fins d’exploitation sexuelle est le CLIENT. Si l’on veut stopper ce cercle vicieux, et la marchandisation des personnes, il faut s’en prendre à la base du ressort essentiel de ce système économique, c’est-à-dire le consommateur ou prostitueur, le client. Sans client pas de prostitution. L’éducation et la prévention sont indispensables certes, mais la prostitution a été réaffirmée, depuis 2002, comme violences faites aux personnes qui la vivent. Il est temps de prendre les mesures qui s’imposent face aux auteurs de ces violences, comme pour tous types de violences, c’est-à-dire la sanction. A l’image de la Suède ou de la Norvège, où la pénalisation du client a été mise en place avec un remarquable succès, tant au niveau des résultats vis-à-vis de l’impact sur la prostitution elle-même que pour l’amélioration du sort des personnes prostituées ou de la remise en cause des clients par rapport à leur comportement. Cette pénalisation a d’ailleurs été intégrée dans un ensemble de lois visant à l’amélioration de la condition des femmes appelées « kviennofried » (« lois pour la paix des femmes »). Cette loi a eu un effet dissuasif mais aussi de prise de conscience (elle a été accompagnée de proposition d’accompagnement psychologique via un numéro vert pour les clients et de grandes campagnes éducatives). La prostitution de rue a chuté de 80% et la traite à des fins d’exploitation d’êtres humains a quasiment disparu (quel intérêt « d’importer » dans un pays où on ne peut plus « exploiter » ?). Malgré les arguments de ses détracteurs, cette loi a été largement plus bénéfique que négative dans ses effets.
  • A contrario, les pays réglementaristes tels l’Allemagne et les Pays-Bas, ont vu exploser le trafic d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle sur leur territoire, et la criminalité liée à « l’industrie du sexe », au point que les maires de certaines villes veulent fermer les zones réservées à ces « commerces » et que se pose la question de revoir la législation concernant cette « activité ». Il est évident que dans un pays où le proxénète n’est plus un criminel mais un employeur, toute liberté lui est permise pour exercer son commerce. Loin de faire régresser les violences sexuelles de tous ordres, ce qui était un argument de base pour justifier la prostitution, celles-ci n’ont cessé d’augmenter dans les pays réglementaristes, sur le principe de « ce que je ne peux pas payer, je le vole ».




Nous demandons :



  • Une réaffirmation de la politique abolitionniste de la France et une application concrète de cette politique, notamment dans les domaines législatifs et sociaux.
  • Que les personnes prostituées cessent d’être considérées comme des délinquantes. Abrogation des lois sur le racolage (passif et actif) et de la loi LSI qui pénalisent des personnes déjà vulnérables, considérées de droit par notre état abolitionniste comme des victimes de violences. Ce double statut schizoïde de victime et de délinquante unique en France ne peut continuer à perdurer, il empêche une prise en charge efficace et fragilise des personnes déjà victimes d’un système criminel.
  • Pénalisation du client, véritable prostitueur et initiateur du système de prostitution et de traite, comme cela se fait déjà en Suède et en Norvège. Cette pénalisation doit bien sûr s’accompagner de mesures préventives, éducatives et de soutien, ainsi que de campagnes d’information.
  • Harmonisation des actions socio sanitaires en direction de et avec les personnes prostituées, avec la politique abolitionniste française. Encore trop d’actions ont une vision strictement hygiéniste de la prostitution (dépistage VIH, dépistage MST, couverture Maladie) ce qui est bien sûr nécessaire dans un premier temps, mais ces personnes ont également besoin d’une prise en charge globale et d’une prise en charge psychologique. 80% des personnes prostituées en IDF sont étrangères, une très grande majorité victimes de la traite et de proxénètisme, et désirent sortir de la prostitution. Il faut établir des programmes de réinsertion et de réhabilitation pour ces personnes, ce qui n’est pas toujours fait, si la prostitution n’est pas envisagée comme une violence à la personne mais simplement comme une « activité » qu’il faut cadrer. Les subventions étatiques doivent être attribuées prioritairement aux actions comportant des programmes complets tenant compte de la politique en vigueur et des réalités de terrain.
  • Mise en place de subventions adéquates afin de créer des centres et des services pour la prise en charge des personnes souhaitant sortir de la prostitution. La réinsertion des personnes prostituées n’est actuellement pas une priorité pour les pouvoirs publics. Pourtant, certaines municipalités et villes se sont plaintes du problème que la prostitution leur causait. L’état s’est déchargé de sa responsabilité sur des associations qui font de leur mieux mais perçoivent très peu de subventions. La sortie de prostitution doit s’accompagner d’une prise en charge psychologique et physique qui nécessite l’intervention de professionnels (acteurs sociaux et médicaux). Tout cela a un coût, et des subventions beaucoup plus conséquentes sont à mettre en place rapidement afin d’aider les personnes désireuses de quitter ce système.




Dr Judith Trinquart, Médecin Légiste, Secrétaire Générale de l’association « Mémoire Traumatique et Victimologie », 23.01.2010.

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